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le pangolin
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1 février 2006

Afrique: Les causes de la soumission volontaire 3

Dans la quête de la réponse à cette question, je viens vous livrer un texte qui parle de la mystique du pouvoir. En effet à entendre les Africains, si les dictateurs maison sont en place c'est parce que ces derniers ont des pouvoirs surnaturels qui leur permettent de dominer, voilà une première réponse à la grande question de Hannah Arendt. La réponse de Hannah Arendt qui s'inscrivait elle dans le discours sur la servitude volontaire se trouve confortée. Les opprimés sans le savoir ont accepté leur condition. Il nous s'agit de voir comment on aboutit à la soumission volontaire.

Le texte du Docteur Mohamed Chaouki Zine, que je vais vous donner à lire, que j'approuve vous éclairera sur cette composante du pouvoir. A la prochaine livraison je viendrais illustrer ce texte, je compte sur vous pour m'en envoyer. Je vous souhaite bonne lecture.

" Mystique et mystère du pouvoir, Michel de Certeau et Michel Foucault "

Par: Dr. Mohamed Chaouki Zine

Trois notions s'imposent et nécessitent une analyse approfondie. Il s'agit de " mystique ", " mystère " et " pouvoir ". Y a-t-il un rapport étroit entre ces notions ou bien s'agit-il simplement d'une quête impossible de trouver un lien plus ou moins implicite ?

La question consiste, en effet, à délimiter les termes pour bien élucider les rapports conceptuels, les transpositions possibles et les implications réciproques. Michel de Certeau (1925-1986) et Michel Foucault (1926-1984) sont deux historiens bien connus dans la pratique historienne. Le premier dans l'histoire des croyances et, généralement, la mystique et le second est de discerner la production du discours par l'élaboration des pratiques non discursives à travers chaque période épistémique. Le premier, membre de l'école freudienne fondée par Jacques Lacan, s'intéresse aux stratégies des institutions du pouvoir en parallèle avec les arts de faire tacticiens. Il est, par ailleurs, l'architecte de l'énoncé mystique. Le second, un simple " lecteur " disait à ceux qui cherchaient vainement à lui assigner une place dans l'institution de l'ordre. Il n'a pas cessé de mettre en valeur sa philosophie du possible " Comment et jusqu'où il serait possible de penser autrement ?". Il s'intéresse, plutôt, à l'ensemble des procédures qui produisent le discours sur la folie, la prison, le sexe, le pouvoir au moment de l'élaboration théorico-pratique du savoir occidental. Qu'est-ce que la mystique ? Qu'est-ce qu'on entend par pouvoir ? Y a-t-il un rapport de type " mystérieux " qui les caractérise ? Par quel moyen et pour quel but les initiations mystiques et les dispositifs du pouvoir se forment-elles et se donnent à voir ? La mystique, selon Michel de Certeau, est liée à la voix, à la parole ou à la fable (1). Elle est la science de la seule probabilité de l'autre ou, mieux dire, une " mysticologie " de croire à l'autre et à l'altérité, anonymes et imprévisibles. Devient mystique, celui qui se détache de l'institution. Mais comme nous allons voir, la sphère de la mystique est structurellement et fonctionnellement identique à celle de l'institution. Il s'agit d'une pratique exercée sur le corps afin d'avouer son secret (d'où l'étymologie de " mystique " qui se rapporte au " mystère " et au " secret ") sous la torture et les pratiques de l'exclusion (comme le cas du corps interné tel que Foucault avait si bien analysé).

L'espace et l'enjeu du visible

L'organisation de l'espace comme instrument utilisable pour discipliner et assujettir les corps donne aux dispositifs du pouvoir leur raison d'être. Foucault montre les fonctionnements d'un pouvoir opaque et omniprésent dans chaque énonciation, c'est-à-dire l'acte de sujet à l'insu de son énoncé ou, selon le mot si cher à de Certeau, " arts de faire " stratégiques et tacticiens détournés et transposés par les ruses de la masse. Le pouvoir est partout là où l'acte épuise son énergie d'actualisation et de mouvement. Il n'est ni hiérarchique ni diagonal impliquant ainsi un dominant et un dominé, mais plutôt machinal, voire aléatoire qui fonctionne grâce à sa capacité de distribuer, classer, analyser et individualiser dans l'espace tout objet donné. Foucault isole le geste reproduit de son cadre discursif afin d'organiser l'espace visible pour qu'il soit un réseau de contrôle individuel et collectif. La répétition permanente et rythmique (2) des procès qui amplifient et perfectionnent le geste, organisent par ailleurs le discours qui articule la naissance de ce qu'on appelle " les sciences humaines ". Cette articulation est l'effet d'une organisation rationalisante qui a caractérisé l'âge des Lumières (Aufklärung), c'est-à-dire les processus de la rationalisation de la société et les rapports étroits entre les divers expériences comme la folie, la mort, le crime et la sexualité et les diverses technologies du pouvoir. Foucault décrit dans un texte suggestif la généalogie du pouvoir pastoral caractérisé par la métaphore Berger-Troupeau. La relation entre le pasteur et son troupeau et foncièrement d'affinité et de contrôle. Le pasteur rassemble, guide et conduit son troupeau dont la préoccupation est de connaître le troupeau dans son ensemble et en détail. Il s'agit de dévouement pour le pasteur, car tout ce qu'il fait, il le fait pour le bien de son troupeau. Le pouvoir pastoral suppose donc une attention individuelle et singulière à chaque membre du troupeau. La relation exprime, en effet, la soumission du multiple (les brebis) à l'un (le berger). La conception chrétienne développe l'idée selon laquelle le pasteur doit rendre compte non seulement de chacune des brebis, mais aussi ses actions les plus infimes et ses intentions les plus intimes. Ce n'est pas uniquement le rapport externe et dans les limites du visible entre le pasteur et ses brebis, mais aussi la capacité du premier de deviner le secret de chaque membre du troupeau (une conséquence morale concernant les péchés et le repentir). Ceci suppose une relation de dépendance individuelle et complète entre le pasteur et ses brebis. Bien que cette métaphore montre lucidement la formation généalogique du pouvoir pastoral, elle met particulièrement l'accent sur l'art de gouverner. D'où les études qui ont été esquissées aux XVIII et XIX siècles dans le dessein de théoriser " la raison d'Etat ". L'art de gouverner comme tâche séculière prend pour modèle l'arrière-plan sacré de la relation Dieu-Créature. La police (entendons par là une technique de gouvernement propre à l'Etat, des domaines, des techniques et des objectifs qui impliquent l'intervention de l'Etat) veille au " vivant " et s'occupe de la religion ou la qualité morale de la vie. Foucault considère les " sciences de la police ou la politique " (Polizeiwissenschaften) à la fois comme art de gouverner et une méthode pour analyser une population vivant sur un territoire. Il y a tout un réseau de pratiques de pouvoir qui font que le " Pouvoir " n'est pas une substance ou une réalité métaphysique, mais bel et bien un mode particulier de relations entre individus.

Comme nous l'avons vu, le pasteur veille lorsque ses brebis sommeillent. Il est omniprésent et omnipotent dans l'image et l'imagination de son troupeau. Son ?il ne cesse de contrôler et surveiller les actes et les conduites de cet ensemble bien discipliné et codifié. La rationalisation du pouvoir à l'âge des Lumières est indissolublement liée à la découverte de l'optique qui a suggéré à Jérémie Bentham l'idée d'un modèle " panoptique " dans les prisons dont le but consiste à voir et contrôler sans être vu. Michel de Certeau écrit : " derrière " le monothéisme " des processus panoptiques dominants, nous pourrions soupçonner l'existence et la survie d'un " polythéisme " de pratiques disséminées ou cachées, dominées mais non effacées par le triomphe historique de l'une d'elles " (3). Les microtechniques fournissent non seulement le contenu du discours élaboré et savamment mis en ?uvre, mais aussi le procès de son avènement. Autrement dit, le champ du visible comme espace de contrôle et de vision dans lequel le savoir puisse prendre forme, sert à formuler le champ du dicible ou le réseau discursif sans se confondre avec lui. C'est dire le champ d'opérations dans lequel une théorie des pratiques du pouvoir serait possible. Comme le constatent Michel Foucault et Gilles Deleuze dans un entretien sur le rapport théorie-pratique, la théorie est souvent locale, relative à un domaine précis et elle peut avoir son application dans un autre domaine. La pratique, quand à elle, est un ensemble de relais d'un point théorique à l'autre. Tout à fait comme la théorie qui se veut un relais d'une pratique à l'autre. Foucault et Deleuze s'entendent sur le fait que la théorie " est " une pratique par excellence. De son côté, Michel de Certeau se pose les problématiques suivantes : comment le discours fait-il place à ce dont il parle ? En est-il altéré ? Comment est-il à son tour marqué par ce qu'il cherche à présenter/produire ? Il constate que le discours doit être analysé comme pratique, c'est-à-dire la relation que la production du discours puisse entretenir avec l'organisation du pouvoir. Le discours va ainsi de vision en vision. La visibilité transforme, en effet, l'espace en opérateur de pouvoir à travers lequel le visible demeure le champ de nouveaux jeux de pouvoir et enjeux de savoir. Il ne s'agit plus de question des acteurs (des énoncés), mais des actions (des énonciations), non plus de personnages, mais des " opérations " et des relations. C'est ainsi qu'apparaît le labyrinthe de manières de faire ou d'usages, pratiques du langage, pratiques de l'espace, etc. par une mobilisation protocolaire établissant ainsi une stylistique des pratiques quotidiennes. à suivre

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Notes :
(1) Michel de Certeau, " Mystique et psychanalyse ", in " Michel de Certeau ", sous la direction de Luces Giard, Cahiers pour un temps, Centre Georges Pompidou, Paris, 1987, p.183-189.
(2) La notion de structure est liée à la notion du " rythme " (Gr. " ryth " qui signifie " fluctuation " et " mos " qui veut dire " durée ") et qui signifie le retour périodique de la même chose.
(3) Michel de Certeau, Histoire te psychanalyse entre science et fiction, folio/essais, Gallimard, 1987, p.42

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